On parle beaucoup, dans les ouvrages de vulgarisation de l’Ayurvéda, des doshas Vata Pitta et Kapha. On a même tendance, quand on commence à intégrer l’Ayurvéda dans son quotidien, à orienter notre régime alimentaire et notre hygiène de vie en fonction du dosha que nous avons identifié comme nous caractérisant. C’est un effort qui est intéressant et utile bien-sûr, mais on oublie souvent la première étape, l’étape préalable à l’identification et l’équilibrage des doshas. Cette première étape et la plus importante de toutes est l’élimination des toxines.
En Ayurvéda, ce qu’on traduit majoritairement comme toxines est appelé āma. Une traduction plus précise d’āma est : les déchets pathogènes. Plus précise parce qu’elle contient la dimension essentielle d’āma : sa propension à générer les maladies. Ces déchets, qui se créent dans notre corps par une digestion partielle des aliments ingérés, lorsqu’ils s’accumulent empêchent la juste circulation des fluides et énergies, ils empêchent nos organes et nos tissus de fonctionner de manière optimale, et leur présence, qui irrite le corps, génère une inflammation.
Les déchets pathogènes sont à l'origine de la plupart des maladies, et principalement les maladies chroniques non-transmissibles, les maladies inflammatoires et les maladies auto-immunes. Il y a beaucoup de maladies qu’on n’explique pas en médecine allopathique, on les soulage, mais parce qu’on n’en comprend pas la cause, on ne sait pas l’éliminer. Bien souvent, elles peuvent être traitées en Ayurvéda grâce à une thérapie anti-āma. Mais bien avant d’en arriver là, il est utile et nécessaire de comprendre comment se forme āma afin d’éviter sa création, son accumulation, et ses troubles. C’est l’idée de prévenir plutôt que de guérir.
La formation des déchets pathogènes dans notre corps est assez simple à comprendre dans son ensemble. Il s’agit d’une nourriture qui n’a été que partiellement digérée. La digestion n’a pas abouti par un manque de capacité digestive, soit à cause d’une faiblesse de notre système digestif, soit par manque d’espace, soit par manque de temps. Il faut imaginer que notre système digestif est un feu et la nourriture du bois, en fonction de la force du feu on choisit la quantité et la qualité du bois, ainsi que le rythme d’approvisionnement. Ceci est tout le principe de la nutrition ayurvédique.
Mais bien souvent, nous n’ajustons pas le bois à notre feu, bien souvent nous mangeons sans avoir faim, bien souvent nous mangeons avant d’avoir digéré le repas précédent, bien souvent nous jetons des boissons glacées sur notre feu, ou d’autres aliments froids et lourds qui l’éteignent. Quand notre système digestif menace de s’éteindre parce que nous jetons des bûches vertes sur une bougie, il a une première stratégie de survie qui est d’appeler en renfort toute l'énergie de notre corps pour l’aider dans cette tâche ; c’est ce qui génère la fatigue post-prandiale. Et si cela n’est pas effectif, alors pour survivre, pour ne pas s’éteindre, il abandonne. Les aliments qui étaient trop difficiles à digérer sont laissés de côté et ils deviennent ces éléments partiellement digérés qui circulent dans notre corps et l’irritent, nommés āma.
Mais attention, ce ne sont pas seulement les repas trop lourds qui engendrent cette réaction en chaîne vers la création de la maladie. C’est aussi le mauvais entretien du feu. Parce que sur un feu digestif bien fort, bien entretenu, vous pouvez envoyer n’importe quelle bûche et elle sera consumée. Alors que sur une flamme toute frêle, qu’on n’alimente jamais ou pas régulièrement ou qu’avec du céleri cru, même la plus saine des nourritures va être trop difficile à digérer et abandonnée dans le corps. C’est une question d'équilibre entre le feu et le bois, c’est une question d’observation, de connaissance et de respect de soi.
Alors pour maintenir une santé optimale et éviter la formation des toxines, on doit prendre en compte ce qu’on mange bien-sûr, mais aussi notre capacité digestive. Et ce n’est pas tout, ce n’est même pas le plus important. Car peu importe ce que nous mangeons, si nous ne le mangeons pas dans les bonnes conditions, ce ne sera pas digéré non plus. L’un des plus grands textes classiques de l’Ayurvéda nous dit : “N’importe quelle nourriture saine, même si elle est prise en juste quantité, ne sera pas digérée si l’état mental de la personne est troublé par l’anxiété, la peine, la peur, la colère, ou l’agitation et l’irritabilité dues au manque de sommeil.” Ca Vi 2:9
Ainsi, avant de vous poser la question des aliments qui sont bons pour votre dosha, si vous avez le droit de manger des carottes ou des champignons, il est essentiel de vous demander si vous avez faim, si vous avez digéré le repas précédent, si la qualité et la quantité de votre nourriture sont adaptées à votre capacité digestive - mais surtout, et avant tout, il est essentiel de vous reposer et de vous détendre. En fait, il serait peut-être même bon de faire une petite sieste avant de manger si vous êtes fatigué. Ou de prendre quelques bonnes respirations avant de vous mettre à table si vous êtes stressé. Ou de méditer quelques instants si vous avez de la peine. Mais si vous êtes en forme, en joie et en appétit, alors allez-y ! Nourrissez ce feu de son bois le plus désiré.
Que faire en revanche si les toxines sont déjà là ? Et comment savoir qu’elles sont déjà là ?
Les signes communs de la présence d’āma chez une personne sont par exemple : une langue chargée, un goût persistant dans la bouche, une sensation que le corps est coincé au réveil, une fatigue persistante, la perte d’enthousiasme, le manque d’appétit aussi, la salivation excessive, les douleurs dans le corps, les maux de tête, les rêves bizarrement désagréables, les réveils difficiles et bien d’autres choses. Il est possible que vous ayez ces symptômes pour d’autres raisons mais si vous en cumulez plusieurs, il est peut-être temps pour vous de faire une petite détox.
Oui, c’est bien-sûr par la détox qu’on élimine les toxines si elles sont déjà présentes dans le corps. Il est toujours préférable d’être accompagné par un spécialiste dans cette démarche, d’autant que les personnes qui sont attirées par les détox sont bien souvent celles qui n’en ont pas besoin, et les personnes qui en ont besoin rechignent à l’effort. Les méthodes sans risque pour éliminer āma en douceur sont les monodiètes de kichary par exemple, ou le jeûne intermittent, ou tout simplement la maîtrise par l’observation et l’extension de son appétit.
Notre corps dispose d’une fonction naturelle de détoxification : l’autophagie. L’intelligence de notre corps est telle qu’il est équipé d’une fonction d’auto-nettoyage. Seulement nous ne lui laissons pas souvent le temps de s’activer. L’autophagie est le principe selon lequel notre corps, lorsqu’il n’est pas occupé à digérer de la nourriture, se consomme lui-même. Mais ce qui est magnifique dans ce processus, c’est le choix intelligent de consommer en premier les déchets pathogènes. Nous savons bien que si nous arrêtons de manger, nous maigrissons, donc nos tissus sont consommés par notre système. Mais avant cette étape nocive de la consumation des tissus par le feu digestif, il y a celle de la combustion d’āma, et c’est cela la détox.
L’étude qui a reçu le prix Nobel de médecine en 2016 démontre que le pic d’autophagie est entre 18h et 21h de jeûne. Cela rejoint parfaitement l’Ayurvéda qui ne recommande pas les jeûnes longs, car ils affaiblissent le corps, mais recommande effectivement de ne manger que deux fois par jour et/ou de jeûner un jour par semaine. Il est préférable de faire ces petits nettoyages chaque jour ou chaque semaine, plutôt que d’imposer à notre corps des excès longs et des jeûnes longs. Il est moins énergivore d’entretenir l’ordre, plutôt que de salir et de karcheriser. C’est une question de respect du corps et de douceur avec soi.
Dans une société où les principales causes de mortalité sont des maladies liées à l’hygiène de vie, il est dommage que la détox soit plus un sujet pour les magazines féminins qu’une ligne directrice pour les politiques de santé publique. Mais si vous prenez individuellement le soin de vous observer, de vous écouter, de vous reposer, de vous respecter, alors il est possible d’éviter les troubles liés à l’accumulation de déchets pathogènes dans le corps. Il est aussi possible et conseillé de faire une petite détox régulière selon vos propres besoins et les conseils d’un spécialiste pour optimiser votre santé, votre énergie et votre clarté d’esprit.